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Blog des classes de seconde, première, littérature et société
16 mars 2020

Textes du parcours "Imagination et pensée au XVIIe siècle"

Parcours « Imagination et pensée au XVIIe siècle »



Texte complémentaire (ne fera pas partie de la liste des textes de l'épreuve orale)

Cet ouvrage peut être considéré comme l’ancêtre français de la « science-fiction ». Il présente les voyages imaginaires du héros-narrateur, qui après avoir visité la Lune, se retrouve sur le Soleil. Là, il va être jugé par les oiseaux civilisés qui peuplent cet astre et qui considèrent les hommes comme des ennemis. Une pie compatissante qui a séjourné sur Terre prend sa défense. Mais voici qu’arrive un aigle.

Elle (1) achevait ceci, quand nous fûmes interrompus par l’arrivée d’un aigle qui se vint asseoir entre les rameaux d’un arbre assez proche du mien. Je voulus me lever pour me mettre à genoux devant lui, croyant que ce fût le roi, si ma pie de sa patte ne m’eût contenu en mon assiette ()2. « Pensiez-vous donc, me dit-elle, que ce grand aigle fût notre souverain ? C’est une imagination de vous autres hommes, qui à cause que vous laissez commander aux plus grands, aux plus forts et aux plus cruels de vos compagnons, avez sottement cru, jugeant de toutes choses par vous, que l’aigle nous devait commander.

« Mais notre politique est bien autre ; car nous ne choisissons pour notre roi que le plus faible, le plus doux, et le plus pacifique ; encore le changeons-nous tous les six mois, et nous le prenons faible, afin que le moindre à qui il aurait fait quelque tort, se pût venger de lui. Nous le choisissons doux, afin qu’il ne haïsse ni ne se fasse haïr de personne, et nous voulons qu’il soit d’une humeur pacifique, pour éviter la guerre, le canal de toutes les injustices.

« Chaque semaine, il tient les États (3), où tout le monde est reçu à se plaindre de lui. S’il se rencontre seulement trois oiseaux mal satisfaits de son gouvernement, il en est dépossédé, et l’on procède à une nouvelle élection.

« Pendant la journée que durent les États, notre roi est monté au sommet d’un grand if sur le bord d’un étang, les pieds et les ailes liés. Tous les oiseaux l’un après l’autre passent par-devant lui ; et si quelqu’un d’eux le sait coupable du dernier supplice, il le peut jeter à l’eau. Mais il faut que sur-le-champ il justifie la raison qu’il en a eue, autrement il est condamné à la mort triste. »

Je ne pus m’empêcher de l’interrompre pour lui demander ce qu’elle entendait par le mot triste et voici ce qu’elle me répliqua :

« Quand le crime d’un coupable est jugé si énorme, que la mort est trop peu de chose pour l’expier, on tâche d’en choisir une qui contienne la douleur de plusieurs, et l’on y procède de cette façon :

« Ceux d’entre nous qui ont la voix la plus mélancolique et la plus funèbre, sont délégués vers le coupable qu’on porte sur un funeste cyprès. Là ces tristes musiciens s’amassent autour de lui, et lui remplissent l’âme par l’oreille de chansons si lugubres et si tragiques, que l’amertume de son chagrin désordonnant l’économie de ses organes et lui pressant le cœur, il se consume à vue d’œil, et meurt suffoqué de tristesse.

« Toutefois un tel spectacle n’arrive guère ; car comme nos rois sont fort doux, ils n’obligent jamais personne à vouloir pour se venger encourir une mort si cruelle.

« Celui qui règne à présent est une colombe dont l’humeur est si pacifique, que l’autre jour qu’il fallait accorder4 deux moineaux, on eut toutes les peines du monde à lui faire comprendre ce que c’était qu’inimitiés5. »

Cyrano de Bergerac, L’Autre Monde ou Histoire comique des États et Empires du Soleil, 1657-1662.

1. La pie.

2. Ne m’eût fait conserver ma position.

3. Il tient une assemblée.

  1. Accorder : mettre d’accord, réconcilier.

  2. Inimitié : dispute, hostilité, haine.





Texte complémentaire :

Télémaque et son précepteur Mentor sont de retour aux abords de l’île de Calypso. Ils rencontrent un capitaine de navire dont le frère Adoam leur livre les dernières nouvelles et leur dépeint un pays extraordinaire, la Bétique.

Le fleuve Bétis coule dans un pays fertile et sous un ciel doux, qui est toujours serein. Le pays a pris le nom du fleuve, qui se jette dans le grand Océan, assez près des Colonnes d’Hercule ()1 et de cet endroit où la mer furieuse, rompant ses digues, sépara autrefois la terre de Tharsis (2) d’avec la grande Afrique. Ce pays semble avoir conservé les délices de l’âge d’or. Les hivers y sont tièdes, et les rigoureux aquilons (3) n’y soufflent jamais. L’ardeur de l’été y est toujours tempérée par des zéphyrs (4) rafraîchissants, qui viennent adoucir l’air vers le milieu du jour. Ainsi toute l’année n’est qu’un heureux hymen du printemps et de l’automne, qui semblent se donner la main. La terre, dans les vallons et dans les campagnes unies, y porte chaque année une double moisson. Les chemins y sont bordés de lauriers, de grenadiers, de jasmins et d’autres arbres toujours verts et toujours fleuris. Les montagnes sont couvertes de troupeaux, qui fournissent des laines fines recherchées de toutes les nations connues. Il y a plusieurs mines d’or et d’argent dans ce beau pays ; mais les habitants, simples et heureux dans leur simplicité, ne daignent pas seulement compter l’or et l’argent parmi leurs richesses : ils n’estiment que ce qui sert véritablement aux besoins de l’homme. Quand nous avons commencé à faire notre commerce chez ces peuples, nous avons trouvé l’or et l’argent parmi eux employés aux mêmes usages que le fer, par exemple, pour des socs de charrue. Comme ils ne faisaient aucun commerce au-dehors, ils n’avaient besoin d’aucune monnaie. Ils sont presque tous bergers ou laboureurs. On voit en ce pays peu d’artisans : car ils ne veulent souffrir que les arts qui servent aux véritables nécessités des hommes ; encore même la plupart des hommes en ce pays, étant adonnés à l’agriculture ou à conduire des troupeaux, ne laissent pas d’exercer les arts nécessaires pour leur vie simple et frugale. […] Quand on leur parle des peuples qui ont l’art de faire des bâtiments superbes, des meubles d’or et d’argent, des étoffes ornées de broderies et de pierres précieuses, des parfums exquis, des mets délicieux, des instruments dont l’harmonie charme, ils répondent en ces termes : « Ces peuples sont bien malheureux d’avoir employé tant de travail et d’industrie à se corrompre eux-mêmes ! Ce superflu amollit, enivre, tourmente ceux qui le possèdent : il tente ceux qui en sont privés de vouloir l’acquérir par l’injustice et par la violence. Peut-on nommer bien un superflu qui ne sert qu’à rendre les hommes mauvais ? Les hommes de ces pays sont-ils plus sains et plus robustes que nous ? Vivent-ils plus longtemps ? Sont-ils plus unis entre eux ? Mènent-ils une vie plus libre, plus tranquille, plus gaie ? Au contraire, ils doivent être jaloux les uns des autres, rongés par une lâche et noire envie, toujours agités par l’ambition, par la crainte, par l’avarice, incapables des plaisirs purs et simples, puisqu’ils sont esclaves de tant de fausses nécessités dont ils font dépendre tout leur bonheur.

1 Ainsi sont appelées, dans l’Antiquité, les montagnes qui bordent, du côté de l’Europe et du côté de l’Afrique, le détroit de Gibraltar, aux limites du monde connu.

2 La terre de Tharsis : dans l’Antiquité, nom donne à la peninsule ibérique.

3 Nom poétique des vents du nord.

4 Vents d’ouest, doux, tièdes et agréables.

Fénelon, Les Aventures de Télémaque, 1699.

 


 

 

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